Nous sommes à cinq mois des municipales et six mois après les Européennes. La situation du PS n’est guère plus brillante. Pas plus d’ailleurs que celle de la droite classique (LR) ou de la France Insoumise (LFI). A gauche, il n’y a guère que le parti des Verts qui peut s’estimer satisfait et encore ! Pour les démocrates de gauche ou qui se disent l’être, le moment est venu d’ouvrir les yeux, de ne pas se raconter d’histoires, de trancher dans le vif et tant pis si ça fait mal ! La situation actuelle du PS est le résultat d’un certain nombre d’erreurs politiques et de fautes stratégiques au cours de ces vingt à trente dernières années.
Deux exemples pour l’illustrer.
Le premier remonte à l’élection de F. Hollande en mai 2012. Durant la campagne, et notamment dans son discours du Bourget, il avait promis, juré que son ennemi c’était la finance et que s’il était élu, il reviendrait sur le pacte de stabilité monétaire, la fameuse règle des 3% qui conduit les gouvernements à mener une politique d’austérité. Quinze jours après son élection, pour son premier voyage à l’étranger, il va voir Angela Merkel et y renonce. Un renoncement qui dès le début de son mandat, a porté atteinte à sa crédibilité. C’est le péché originel du quinquennat Hollande. Si par la suite, il sut assez bien manœuvrer pour s’en tirer finalement pas trop mal, sa présidence restera marquée par cette défaite en rase campagne devant la chancelière allemande. A partir du moment où il avait promis, juré, il fallait qu’il tînt sa promesse, quitte à aller au clash. Dès le premier obstacle, il bat en retraite. Ça n’a pas été compris !
Deuxième exemple : les élections présidentielles de 2017. E. Macron qui n’est pas socialiste mais se dit de gauche, est élu. Selon les sondages, au premier tour, son électorat se composait de 50% d’électeurs de gauche et 50% d’électeurs de droite. Dans son programme, il y avait la loi 2 travail qu’il voulait et qu’il a fait passer par ordonnance. Cette loi 2 se situe dans le droit fil de la loi El Khomri que F. Hollande en fin de mandat avait bien eu du mal à faire passer. On aurait pu s’attendre à ce que vis-à-vis de cette loi 2 travail, inspirée encore une fois de la loi El Khomri dont elle n’était en quelque sorte que l’aboutissement, la nouvelle direction du PS fît preuve d’un certain attentisme. Eh bien non, on vit, le nouveau Premier secrétaire, s’opposer à ce texte et aller jusqu’à défiler dans les rues avec les syndicats quitte d’ailleurs à se faire copieusement huer par les manifestants.
Nombre de gens de gauche en restèrent baba. Est-cela la politique se dirent-ils ? En s’opposant ainsi à Macron et à son nouveau gouvernement, la direction du PS se rendait-elle rendue compte qu’elle s’en prenait aussi aux 50% d’électeurs socialistes ayant voté Macron dès le premier tour ? Celui-là même qu’ils venaient de porter au pouvoir, ils devaient dès le lendemain le combattre ? Ce n’est pas sérieux. Plus qu’une faute politique, ce fut une erreur stratégique
Au lieu de se livrer à cette cuisine partisane, la direction du PS eût été mieux inspirée de se poser la question de son petit score à la présidentielle. Qu’est-ce qui avait cloché dans le programme de Hamon pour que les militants et les sympathisants socialistes en viennent à voter pour un autre candidat que le leur ? Il eût fallu réfléchir et longtemps réfléchir sur cette question. Des semaines et des mois peut-être ! C’est en perdant du temps à réfléchir qu’on en aurait peut-être gagné.
Et voilà où en sont les gens de gauche en cette fin d’année 2019 : dans la même décrépitude qu’il y a deux ans et demi
Si elle ne veut pas disparaître, la gauche social-démocrate doit renouer avec les classes moyennes et populaires. C’est l’enjeu principal. Pour cela, elle doit se reconstruire sur d’autres bases, renouveler son corpus idéologique, entamer des débats en profondeur sur des sujets d’actualité, des sujets qui ne se posaient pas (ou pas avec la même acuité) il y a encore dix ou quinze ans :
- Le dérèglement climatique et ses conséquences
- L’intelligence artificielle et ses conséquences sur nos modes de vie
- Le libéralisme et le rôle de l’Etat
- Les bouleversements sociétaux (divorces, PMA, règles de bioéthique, fin de vie, égalité hommes/femmes..)
- Les fractures sociales et territoriales
- L’aspiration des citoyens à une démocratie plus participative
- L’irruption du numérique et ses conséquences sociales et économiques
- Intégration à l’Europe et identité nationale,
- Les migrations, jusqu’où peut-on accueillir ?
- La République face à l’Islam
Tous ces sujets doivent être débattus durant des semaines, des mois, des années s’il le faut, de manière à rassembler, à attirer les jeunes, à créer dans deux, cinq ou dix ans une offre politique crédible à la politique actuelle. Force est de constater qu’on n’en a pas pris le chemin.
Encore quelques mots.
La première démarche à entreprendre serait peut-être de s’entendre sur le sens des mots. Le mot libéral par exemple. On dit tout et n’importe quoi à son sujet. La gauche se dit aujourd’hui anti libérale. Mais la PMA que le gouvernement s’apprête à faire voter est une mesure libérale. Le PS est-il contre ? Comme par le passé, la loi sur l’IVG ou la loi sur le Mariage pour tous et plus loin encore, les lois sur la liberté de la presse, la liberté d’expression, la liberté de se syndiquer ou plus récemment les lois qui instaurent une meilleure égalité entre hommes et femmes, etc. On me répondra que ce que la gauche rejette, c’est le libéralisme, le libéralisme économique. Mais quel est le contraire du libéralisme ? N’est-ce pas le dirigisme qui mène à une société administrée ? Est-ce cela que l’on souhaite pour notre pays ? Veut-on aller vers une société autoritaire et administrée comme l’est la Corée du Nord ou encore la Chine ?
De fait, sur les 194 Etats de la planète, aucun n’est vraiment libéral, aucun n’est vraiment dirigé. Les Etats vivent dans un entre-deux. Ils sont à la fois libéraux et interventionnistes. L’économie de la France est une économie plutôt libérale. Mais dans le cadre d’un Etat fortement interventionniste et certains diront trop protecteur. Si notre économie est libérale, elle est suivie et contrôlée de près par l’Etat, par Bercy, y compris à l’échelle des régions, des départements, des communes.
La véritable question qu’il faut se poser est celle-ci : où mettons-nous le curseur entre le trop d’Etat et le laisser-faire libéral ? Le trop d’Etat conduit au totalitarisme, le laisser-faire au capitalisme et à la toute-puissance des multinationales, c’est-à-dire à une autre forme de totalitarisme. Et ce capitalisme-là, il ne s’enracine pas dans la France de Macron mais bien plutôt dans les Etats-Unis de Trump et de plus en plus dans celui de la Chine de Xi Jinping
Autre élément de réflexion : la stratégie. Si la politique s’appuie sur une idéologie, elle avance en suivant une stratégie. Compte tenu de la faiblesse de la gauche démocratique il eût été préférable pour celle-ci, dans son intérêt donc, et dès l’élection de Macron, d’établir une sorte de coalition (ou alliance) avec le parti de la République en marche. Une coalition comparable à celle qui existe entre les socio-démocrates allemands et la CDU d’Angela Merkel. Une alliance avec LREM pour faire progresser les idées de gauche au sein de la majorité actuelle. C’eût été, me semble-t-il, en l’absence d’une vraie politique alternative, la solution la plus réaliste. Est-il trop tard ? La question est posée.
Demeurer dans l’opposition est une erreur en l’absence d’une vraie politique de rechange, c’est laisser la République en Marche dériver inévitablement vers la droite. Est-ce cela que le PS attend et peut-être espère sans trop oser le dire ? Croit-elle qu’en la laissant dériver vers la droite, elle parviendra à se refaire une santé ? Ce serait une erreur majeure de le croire.
Attendre que E. Macron et la République en Marche se cassent la figure pour exister à nouveau, c’est non seulement discutable sur le plan moral (c’est faire passer les intérêts du parti avant ceux du pays) mais c’est surtout faire preuve d’une grande naïveté. C’est tout simplement laisser le champ libre à une alliance probable, que certains envisagent dès à présent entre l’extrême droite de Marine Le Pen et la droite classique. N’est-ce pas la stratégie avouée de Marion Maréchal, la nièce de Marine Le Pen ?
Et puis, en fin de compte, s’allier à Macron, est-ce faire alliance avec le diable ? Les points communs, notamment sur l’Europe ne sont-ils pas infiniment plus importants que les points de divergences ?
On ne le répétera jamais assez, la politique c’est de l’idéologie mais c’est aussi et beaucoup de la stratégie. Quand Mitterrand a fait le Programme Commun avec le PRG et le PC, il n’était ni radical de gauche, ni communiste que je sache !
Nous sommes dans une phase d’accélération de l’histoire et de mutation de notre société. La Gauche social-démocrate, la gauche démocratique est condamnée à faire peau neuve sur le fond (l’idéologie) comme sur la forme (la stratégie). Si elle n’y parvient pas, elle disparaîtra.