Les gilets jaunes et l’effet de seuil

On aura tout dit sur les gilets jaunes, mouvement inédit, spontané, populaire ou populiste selon les points de vue. Mais on peut se poser la question : était-il si imprévisible que cela ? Dans les années soixante, un économiste de renom faisait la pluie et le beau temps dans notre belle France, il s’appelait François Perroux. Il est l’apôtre des pôles de développement et un des principaux artisans de la métropolisation de notre territoire.

Que s’est-il passé en un demi-siècle ? A un millénaire de lente structuration de notre espace territorial basé sur un fin maillage de paroisses/communes, pays, régions, auquel Paris ville-monde avant l’heure venait donner une certaine cohérence et un dynamisme certain, s’est substituée une autre matrice, celle d’une quinzaine de métropoles et d’une bonne centaine de villes grandes et moyennes concentrant emplois, équipements, services, loisirs, culture. En une cinquantaine d’années à peine, sans que nos concitoyens s’en rendent toujours bien compte, on a assisté à un re-tricotage du territoire métropolitain reposant sur une centralisation des activités autour de la mise en réseaux de pôles urbains hiérarchisés et encore largement dépendants (malgré la loi de décentralisation amorcée au début des années quatre-vingt) du centre de décisions parisien.

Ce qui autrefois était aberrant, vivre à plus de trente kilomètres (ou à plus d’une heure) de son lieu de travail est devenu aujourd’hui presque une norme. C’est cette distanciation lieu de travail/domicile, source de multiples gaspillages en termes de perte de temps, de surcoût de dépenses et de tracas multiples, qui est mise en évidence à l’occasion de cette augmentation des prix du carburant ; une mesure sans doute nécessaire et même vitale au regard de l’exigence écologique et climatique mais difficilement supportable par ceux qui du fait de ces allers et retours journaliers en sont les premiers concernés et les principales victimes.

Le prix du carburant aura fonctionné comme un effet de seuil, la goutte d’eau qui fait déborder le vase. A la faveur de ce déferlement de colère, il aura permis de découvrir les difficultés, le mal être, voire la détresse dans lesquels vive un grand nombre de nos concitoyens. Il est symptomatique d’un déficit de démocratie (comment en est-on arrivé là ?) et devra servir de leçon aux élus de tous bords pour que les décisions qu’ils prennent et les lois qu’ils votent, si impératives et incontournables qu’elles soient, puissent être acceptées par leurs mandants. Elles le seront d’autant plus aisément que ces derniers auront été associés d’une manière ou d’une autre aux solutions qui les concernent.

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